De longues années s’écoulèrent après le serment de la Table Ronde sans que je revisse Lancelot ni aucun de ses hommes de confiance. Amhar et Loholt, les jumeaux d’Arthur, habitaient Venta, la capitale de Lancelot, où ils menaient des bandes de lanciers, mais apparemment ils ne se battaient jamais que dans les tavernes. Dinas et Lavaine se trouvaient également à Venta, où ils présidaient à un temple voué au dieu romain Mercure, et leurs cérémonies rivalisaient avec celles qu’organisait Lancelot dans son église palatiale consacrée par Monseigneur Sansum. Ce dernier se rendait souvent à Venta et, à l’en croire, les Belges paraissaient assez satisfaits de Lancelot, ce qui, pour nous, signifiait simplement qu’ils ne se rebellaient pas ouvertement.

Lancelot et ses compagnons venaient aussi en Dumnonie, traversant le plus souvent la frontière pour se rendre au Palais marin. Parfois, ils poussaient jusqu’à Durnovarie pour quelque grande fête. Pour ma part, je me tenais simplement à l’écart de ces festivités si je savais qu’ils venaient, et ni Arthur ni Guenièvre ne me demandèrent jamais de venir. Je ne fus pas non plus invité aux grandes funérailles qui suivirent la mort d’Elaine, la mère de Lancelot.

En vérité, Lancelot n’était pas un mauvais souverain. Il n’était pas Arthur. Il ne se souciait pas de la qualité de la justice, de l’équité des impôts ni de l’état des routes. Il préférait ignorer purement et simplement tous ces problèmes, mais, comme il en avait toujours été ainsi, nul ne remarqua la moindre différence. Comme Guenièvre, Lancelot ne pensait qu’à ses aises et, comme elle, il se construisit un somptueux palais qu’il remplit de statues et dont il couvrit les murs peints de l’extravagante collection de miroirs dans laquelle il pouvait admirer son reflet sans fin. Il achetait ces objets de luxe avec l’argent des impôts, et, si ces impôts étaient lourds, c’était la contrepartie de la liberté : les Saxons avaient cessé leurs incursions sur les territoires belges. Chose étonnante, Cerdic avait tenu parole et les redoutables lanciers des Saïs ne devaient plus piller les riches terres agricoles de Lancelot.

Mais ils n’en n’avaient pas non plus besoin, car Lancelot les avait invités à venir vivre dans son royaume. Les longues années de guerre avaient dépeuplé le pays et les bois recommençaient à envahir les immenses terres autrefois cultivées. Aussi Lancelot invita-t-il des colons de Cerdic à travailler la terre. Les Saxons prêtaient serment à Lancelot, défrichaient la terre, construisaient de nouveaux villages et payaient leurs impôts. Leurs lanciers venaient même grossir les rangs de ses bandes de guerre. La garde de son palais, disait-on, était entièrement composée de Saxons : il l’appelait la Garde saxonne et en avait recruté les membres en fonction de leur taille et de leur couleur de cheveux. De longues années passèrent avant que je fisse leur connaissance, mais c’étaient en effet tous de grands hommes blonds qui portaient des haches aussi polies que des miroirs. Le bruit courait que Lancelot versait un tribut à Cerdic, mais Arthur le nia avec véhémence lorsque le Conseil lui demanda ce qu’il en était. Arthur désapprouvait que l’on invitât des colons saxons sur les terres bretonnes, mais, assurait-il, il appartenait à Lancelot d’en décider, non pas à nous. Et au moins le pays était-il en paix. Apparemment, la paix excusait tout.

Lancelot se targuait même d’avoir converti sa garde saxonne au christianisme. Loin d’être une façade, il semblait que son baptême fût sincère : c’est du moins ce que m’assura Galahad au cours de l’une de ses nombreuses visites à Lindinis. Il me décrivit l’église que Sansum avait érigée dans le palais de Venta et me raconta que tous les jours un chœur chantait tandis qu’un essaim de prêtres célébraient les mystères chrétiens. « Tout cela est fort beau », fit Galahad d’un air désenchanté. Je n’avais pas encore vu les extases d’Isca et j’étais loin de me douter des délires que cela occasionnait, et je ne lui demandai donc pas si c’était la même chose à Venta, ou si son frère encourageait les chrétiens de Dumnonie à voir en lui un libérateur.

« Le christianisme a-t-il changé ton frère ? » demanda Ceinwyn.

Galahad observait le petit mouvement de ses mains qui démêlaient un fil de la quenouille sur le fuseau. « Non, avoua-t-il. Il estime qu’il suffit de dire ses prières une fois par jour pour se conduire ensuite comme il lui plaît. Mais les chrétiens sont nombreux dans ce cas, hélas.

— Et comment se conduit-il ? voulut savoir Ceinwyn.

— Mal.

— Tu préfères que je quitte la pièce, demanda Ceinwyn d’une voix douce, que tu puisses en parler à Derfel sans me plonger dans l’embarras ? Il n’aura qu’à me dire quand il voudra aller au lit. »

Galahad rit. « Il s’ennuie. Dame, et il trompe son ennui comme on fait d’habitude. Il chasse.

— Comme Derfel, comme moi. Ce n’est pas mal de chasser.

— Il chasse les filles, fit Galahad d’une voix lugubre. Il ne les traite pas mal, mais elles n’ont pas vraiment le choix. Certaines y trouvent leur compte et s’enrichissent, mais elles deviennent aussi ses putains.

— Il ressemble à la plupart des rois, fit Ceinwyn d’un ton sec. C’est tout ?

— Il passe des heures avec ces deux misérables druides, et personne ne sait quel besoin un roi chrétien a de faire ça, mais il prétend que ce n’est que par amitié. Il encourage ses poètes, collectionne ses miroirs et rend visite à Guenièvre dans son Palais marin.

— Pour quoi faire ? demandai-je.

— Pour parler, à ce qu’il dit, répondit Galahad dans un haussement d’épaules. Il dit qu’ils parlent de religion. Ou plutôt ils en débattent. Elle est devenue très fervente.

— Une adepte d’Isis », précisa Ceinwyn d’un ton de reproche. Dans les années qui suivirent le serment de la Table Ronde, nous avions tous entendu dire que Guenièvre se repliait de plus en plus sur la religion, si bien que le Palais marin était devenu un immense sanctuaire consacré à Isis, et les suivantes de Guenièvre, toutes des femmes choisies pour leur grâce et leur apparence, étaient les prêtresses de la déesse.

« La Déesse suprême ! lâcha Galahad avec mépris, avant de faire le signe de la croix pour tenir le mal païen en respect. De toute évidence, Guenièvre croit qu’il est possible de mettre les immenses pouvoirs de la Déesse au service des affaires humaines. J’imagine que ce n’est guère au goût d’Arthur.

— Tout cela l’ennuie, dit Ceinwyn en dévidant le dernier fil de la quenouille. Il passe son temps à se plaindre que Guenièvre ne veuille lui parler de rien, sauf de sa religion. Ce doit être affreusement ennuyeux pour lui. »

Cette conversation eut lieu bien avant que Tristan ne se réfugiât avec Iseult en Dumnonie, à une époque où Arthur était encore le bienvenu chez nous.

« Mon frère se dit fasciné par ses idées, ajouta Galahad, et peut-être est-ce vrai. Il prétend que c’est la femme la plus intelligente de Bretagne et assure qu’il ne se mariera pas avant qu’il n’ait trouvé une autre femme comme elle.

— Heureusement qu’il m’a perdue, fit Ceinwyn en riant de bon cœur. Quel âge a-t-il aujourd’hui ?

— Trente-trois ans, je crois.

— Si vieux que ça ! s’exclama Ceinwyn en m’adressant un sourire, car je n’avais qu’un an de moins. Mais qu’est devenue Ade ?

— Elle lui a donné un fils et elle est morte en couches.

— Non ! lâcha Ceinwyn, bouleversée par l’affreuse nouvelle. Et tu dis qu’il a un fils ?

— Un bâtard, fit Galahad d’un air de reproche. Il s’appelle Peredur. Il a quatre ans maintenant, et ce n’est pas un méchant petit garçon. En vérité, je l’aime assez.

— As-tu jamais détesté un enfant ? demandai-je avec une pointe d’ironie.

— Tête de balais », répondit-il. Ce vieux sobriquet nous fit tous sourire.

« Lancelot, un fils ! » s’exclama Ceinwyn sur ce ton de surprise qui marque l’importance que les femmes attachent à ce genre de nouvelles. Pour moi, l’existence d’un bâtard royal de plus était tout ce qu’il y avait de plus ordinaire, mais j’observe que les hommes et les femmes réagissent de manière bien différente à ces choses.

Comme son frère, Galahad ne s’était jamais marié. Il n’avait pas non plus de terre, mais il était heureux et jouait les émissaires au service d’Arthur. Il s’efforçait de maintenir en vie la Confrérie de Bretagne, même si je constatais qu’on avait tôt fait d’oublier ses devoirs, et il parcourait tous les royaumes bretons, portant des messages, réglant des conflits et usant de son rang royal pour aplanir tous les problèmes que pouvait avoir la Dumnonie avec les autres États. C’était généralement lui qui se rendait en Démétie pour freiner les raids d’Œngus Mac Airem sur Powys et c’est encore lui qui, après la mort de Tristan, porta la triste nouvelle du destin d’Iseult à son père. Je ne devais le revoir que de longs mois après.

J’évitai aussi de revoir Arthur. Je lui en voulais trop. Je laissais ses lettres sans réponse et ne me rendais plus aux réunions du Conseil. Dans les mois qui suivirent la mort de Tristan, il se rendit à Lindinis à deux reprises : les deux fois, je restai poli mais froid et le quittai au plus vite. Il eut une longue discussion avec Ceinwyn, qui s’efforça ensuite de nous réconcilier, mais je n’arrivais pas à me sortir de la tête l’image de cette enfant dévorée par les flammes.

Pour autant, je ne pouvais l’ignorer complètement. Quelques mois seulement nous séparaient désormais de la seconde acclamation de Mordred et il fallait s’occuper des préparatifs. La cérémonie aurait lieu à Caer Cadarn, à une courte marche de Lindinis. Et Ceinwyn et moi ne pouvions faire autrement que d’y participer. Mordred lui-même s’y intéressa, peut-être parce qu’il comprit que la cérémonie le libérerait enfin de toute discipline. « C’est à vous de décider, lui dis-je un jour, qui vous acclamera.

— Arthur, n’est-ce pas ? demanda-t-il d’un air renfrogné.

— C’est généralement un druide, mais si vous préférez une cérémonie chrétienne, vous devez choisir entre Emrys et Sansum.

— Sansum, je suppose, dit-il en haussant les épaules.

— En ce cas, nous devrions aller le voir. »

Nous y allâmes par une rude journée, au cœur de l’hiver. J’avais d’autres affaires à régler à Ynys Wydryn, mais je commençai par accompagner Mordred au sanctuaire chrétien où un prêtre nous expliqua qu’il nous fallait patienter car l’évêque Sansum était occupé à dire la messe.

« Sait-il que son roi est ici ? demandai-je.

— Je m’en vais le lui dire, Seigneur », répondit le prêtre, qui fila en quatrième vitesse sur le sol gelé.

Mordred s’était éloigné pour se poster devant la tombe de sa mère où, malgré le froid, une douzaine de pèlerins étaient agenouillés. C’était une tombe toute simple : rien qu’un monticule de terre avec une croix de pierre un peu ridicule en comparaison de l’urne de plomb que Sansum avait placée pour recevoir l’offrande des pèlerins.

« L’évêque nous rejoindra bientôt, dis-je. Si nous l’attendions à l’intérieur ? »

Il hocha la tête et fronça les sourcils devant le petit monticule herbeux : « On devrait lui donner une meilleure tombe.

— J’en suis bien d’accord, dis-je, tout surpris de l’entendre parler. Libre à vous de la construire.

— Il eût mieux valu, dit-il insidieusement, que d’autres lui rendent cette marque de respect.

— Seigneur Roi, dis-je, nous étions si occupés à défendre la vie de son enfant que nous n’avions guère le temps de nous occuper des os. Mais vous avez raison et nous avons manqué à nos devoirs. »

D’un air morose, il donna un coup de pied à l’urne et jeta un œil sur les menus trésors qu’y avaient laissés les pèlerins. Ceux qui priaient devant la tombe s’écartèrent, non par crainte de Mordred, car je doute qu’ils l’aient reconnu, mais parce que l’amulette de fer que je portais autour du cou trahissait en moi le païen. « Pourquoi a-t-elle été enterrée ? me demanda soudain Mordred. Pourquoi ne l’a-t-on pas brûlée ?

— Parce qu’elle était chrétienne », répondis-je, tout en essayant de lui cacher combien son ignorance m’horrifiait. Je lui expliquai que, selon les chrétiens, leur corps servirait de nouveau au dernier avènement du Christ. Quant à nous, les païens, nous emportions nos nouveaux corps spectraux dans les Enfers et n’avions que faire de nos cadavres : si nous le pouvions, nous les brûlions pour empêcher nos esprits d’errer sur la terre. Si nous ne pouvions dresser un bûcher funéraire, nous brûlions les cheveux du mort et lui coupions un pied.

« Je lui ferai un caveau », déclara-t-il quand j’eus fini mon explication théologique. Il me demanda comment sa mère était morte et je lui racontai toute l’histoire : comment Gundleus avait traîtreusement épousé Norwenna, puis l’avait tuée alors qu’elle s’agenouillait devant lui. Et je lui racontai aussi comment Nimue s’était vengée de Gundleus.

« Cette sorcière ! » fit Mordred, car de jour en jour elle était plus farouche, plus décharnée et plus crasseuse. Elle menait une vie de recluse désormais, vivotant des restes de l’enceinte de Merlin où elle chantait ses charmes, allumait des feux à ses dieux et recevait quelques visiteurs, mais de temps à autre, sans se faire annoncer, elle se rendait à Lindinis pour consulter Merlin. Je profitais de ces rares occasions pour essayer de la faire manger, les enfants la fuyaient, et elle s’en repartait en marmonnant avec son œil fou, sa robe crottée de boue et de cendres et sa natte noire chargée de détritus. Au pied de son refuge du Tor, force lui avait été de voir le sanctuaire chrétien s’agrandir, se renforcer et s’organiser de manière toujours plus forte. Les anciens dieux, me disais-je, perdaient du terrain à vue d’œil. Sansum, naturellement, attendait impatiemment la mort de Merlin afin de récupérer le Tor et de bâtir une église sur son sommet ravagé par le feu. Mais ce que Sansum ne savait pas, c’est que toute la terre de Merlin devait me revenir.

Debout à côté de la tombe de sa mère, Mordred s’interrogeait sur la similitude de nom entre ma fille aînée et sa mère, et je lui expliquai donc que Ceinwyn était la cousine de Norwenna. « Morwenna et Norwenna sont de vieux noms au Powys, expliquai-je.

— M’aimait-elle ? » demanda Mordred, et l’incongruité de ce mot dans sa bouche me fit m’arrêter. Peut-être, pensais-je, Arthur avait-il raison. Peut-être que Mordred allait mûrir à la faveur de ses nouvelles responsabilités. Aussi loin que je remontais dans mes souvenirs, je n’avais assurément jamais eu une discussion aussi courtoise.

« Elle vous aimait beaucoup, répondis-je avec sincérité. Jamais je n’ai vu votre mère aussi heureuse que lorsqu’elle était avec vous. C’était là-haut », fis-je en montrant du doigt la terre brûlée où se dressaient jadis la salle de Merlin et sa tour de rêves. C’était là que Norwenna avait été assassinée et que Mordred lui avait été arraché. Il n’était qu’un bébé alors, encore plus petit que moi quand on m’avait arraché aux bras de ma mère, Erce. Erce vivait-elle encore ? Je n’étais toujours pas allé en Silurie pour la retrouver. Me sentant coupable de l’avoir ainsi négligée, je touchai l’amulette de fer.

« Quand je mourrai, reprit Mordred, je veux être enterré dans la même tombe que ma mère. Et je la bâtirai moi-même. Un caveau de pierre, déclara-t-il, avec nos corps sur un piédestal.

— Vous devez en parler à l’évêque. Je suis sûr qu’il se fera un plaisir de vous aider. » Du moment, pensais-je avec cynisme, qu’on ne lui demande pas de payer le sépulcre.

Entendant Sansum courir sur l’herbe, je me retournai. Il s’inclina vers Mordred, puis me souhaita la bienvenue dans le sanctuaire : « J’espère que vous venez en quête de la vérité, Seigneur Derfel ?

— Je suis venu visiter ce sanctuaire, dis-je en indiquant le Tor, mais mon Seigneur Roi a des affaires à traiter avec vous. » Je les laissai seul et escaladai le Tor à cheval. Je passai devant le groupe des chrétiens qui, jour et nuit, priaient au pied du Tor pour que les païens qui y vivaient en fussent chassés. Je supportai leurs insultes et continuai à grimper et découvris que la dernière charnière de la porte avait cédé. J’attachai mon cheval à un pieu qui subsistait de l’ancienne palissade, puis portai le balluchon de vêtements et de fourrures que Ceinwyn avait préparé pour que les pauvres gens qui partageaient le refuge de Nimue ne meurent pas de froid. Je donnai les habits à Nimue, qui les laissa tomber négligemment dans la neige puis me tira par la manche pour m’entraîner dans la nouvelle cabane qu’elle avait construite à l’endroit même où se dressait jadis la tour des rêves. La puanteur était telle que j’en eus des haut-le-cœur, mais ces odeurs méphitiques lui étaient indifférentes. C’était une journée glaciale et un vent d’est humide soufflait de la neige à moitié fondue, mais je préférais rester en plein air plutôt que de supporter cette puanteur. « Regarde ! » fit-elle fièrement en me montrant un chaudron : non pas le Chaudron, mais un simple chaudron de fer ordinaire rafistolé suspendu à une poutre et empli d’un liquide noirâtre. Des brins de gui, deux chauves-souris, des mues de serpent, des andouillers brisés et des touffes d’herbes pendaient également aux combles si bas que je dus me plier en deux pour entrer dans la cabane, où régnait une fumée si épaisse qu’elle me brûla les yeux. Dans l’ombre, un homme nu allongé sur son grabat se plaignit de ma présence.

« Du calme », aboya Nimue avant de saisir un bâton pour touiller le liquide noirâtre du chaudron qui fumait doucement au-dessus d’un feu léger donnant beaucoup plus de fumée que de chaleur. Elle remua le chaudron, trouva ce qu’elle cherchait et le sortit du liquide. Je reconnus un crâne humain. « Tu te souviens de Balise ? me demanda Nimue.

— Bien entendu. » Balise était un druide. Déjà un vieillard quand j’étais jeune et il était mort depuis longtemps.

« Ils ont brûlé son corps, m’expliqua Nimue, mais pas sa tête, et la tête d’un druide, Derfel, est une chose qui a un pouvoir redoutable. Un homme me l’a apportée la semaine dernière. Il la conservait dans un tonneau de cire d’abeille. Je la lui ai achetée. »

Autrement dit, c’est moi qui l’avais achetée. Nimue ne cessait d’acheter des objets de culte : la coiffe d’un enfant mort, des dents de dragon, un bout de pain magique des chrétiens, des rostres de bélemnite et maintenant une tête de mort. Elle avait pris l’habitude de venir au palais réclamer de l’argent pour ces rebuts, puis j’avais trouvé plus commode de lui laisser un peu d’or, même si cela voulait dire qu’elle gaspillerait le métal pour acheter les curiosités de toutes sortes qu’on lui proposait. Un jour, elle donna un lingot d’or entier pour la carcasse d’un agneau né avec deux têtes. Elle l’avait clouée sur la palissade, dominant le sanctuaire des chrétiens, et l’y avait laissée pourrir. Je n’avais aucune envie de lui demander pourquoi elle avait acheté un tonneau de cire contenant une tête de mort. « J’ai retiré la cire, m’expliqua-t-elle, et j’ai enlevé la chair en la faisant bouillir. » Cela expliquait en partie la puanteur suffocante de la pièce. « Il n’y a pas de plus puissant augure, me dit-elle, son unique œil luisant dans l’obscurité, qu’une tête de druide bouillie dans l’urine avec les dix herbes brunes de Crom Dubh. » Elle laissa retomber le crâne qui disparut sous la surface. « Une minute ! » m’ordonna-t-elle.

La fumée et la puanteur me donnaient la nausée, mais j’attendis docilement. La surface du liquide frémit, miroita et finit par se figer, ne laissant plus qu’un lustre noir aussi lisse qu’un miroir, avec juste un mince filet de vapeur. Nimue se pencha en retenant sa respiration, et je sus qu’elle lisait des présages sur la surface du liquide. L’homme sur son grabat toussa horriblement puis, d’une main faible, tira une couverture usée sur sa nudité. « J’ai faim », geignit-il. Nimue fit comme si de rien n’était.

J’attendis. « Tu me déçois, Derfel, déclara soudain Nimue, son souffle ridant à peine la surface du liquide.

— Pourquoi ?

— Je vois une reine brûlée vive sur une côte. J’aurais voulu ses cendres, Derfel, fit-elle d’un ton de reproche. J’aurais pu utiliser les cendres de la reine. Tu aurais dû le savoir. » Elle se tut, mais je ne dis rien. Le liquide était de nouveau figé, et lorsque Nimue reprit la parole, ce fut d’une voix étrange, caverneuse, qui ne ridait aucunement la surface du liquide noir. « Deux rois vont venir à Cadarn, dit-elle, mais c’est un homme qui n’est pas roi qui régnera. La morte sera mariée, le perdu refera surface et une épée pèsera sur le cou d’un enfant. » Puis elle poussa un hurlement terrible, effarouchant l’homme nu qui se blottit frénétiquement dans un coin de la cabane, les mains sur la tête. « Dis tout cela à Merlin, me dit Nimue qui avait retrouvé sa voix normale. Il saura ce que cela veut dire.

— Je le lui dirai.

— Et dis-lui, reprit-elle avec une ferveur désespérée, me serrant le bras de ses doigts crasseux, que j’ai vu le Chaudron dans le liquide. Dis-lui qu’on s’en servira bientôt. Bientôt, Derfel. Dis-le-lui.

— Je le ferai. »

Puis, incapable de supporter l’odeur plus longtemps, je m’arrachai à son étreinte et sortis sous la neige. Elle me suivit et, trouvant refuge sous mon manteau, m’accompagna jusqu’à la porte. Elle était étrangement enjouée. « Tout le monde pense que nous sommes en train de perdre, Derfel, tout le monde pense que ces immondes chrétiens s’emparent de la terre. Mais ce n’est pas vrai. Le Chaudron reparaîtra bientôt, Merlin sera de retour et la puissance sera libérée. »

Je m’arrêtai à la porte pour regarder le groupe de chrétiens toujours attroupés au pied du Tor en train de réciter leurs extravagantes prières, les bras grands ouverts. Sansum et Morgane s’arrangeaient pour qu’il y en ait toujours afin que leurs prières dissuadent les païens de grimper au sommet. Nimue les regarda avec mépris. Certains chrétiens la reconnurent et se signèrent. « Tu crois que le christianisme est en train de gagner la partie, Derfel ?

— Je le crains », répondis-je en entendant les hurlements de colère qui s’élevaient d’en bas. Je me souvenais des fidèles frénétiques d’Isca et me demandais combien de temps on parviendrait à contenir cet horrible fanatisme. « J’en ai bien peur, dis-je tristement.

— Le christianisme n’est pas en train de gagner, répondit-elle avec mépris. Regarde ! » Elle sortit de sous mon manteau et leva sa robe sale pour dévoiler sa nudité aux chrétiens, puis elle eut un mouvement de hanches obscène dans leur direction et poussa un vagissement qui se perdit dans le vent tandis qu’elle laissait retomber sa robe. Certains chrétiens firent un signe de croix, mais, d’instinct, la plupart firent le signe païen contre le mal de leur main droite et crachèrent à terre. « Tu vois ? fit-elle avec un sourire. Ils croient encore aux anciens dieux. Ils croient encore. Et bientôt, Derfel, ils auront la preuve. Dis-le à Merlin. »

Je répétai tout cela à Merlin. Debout devant lui, je lui rapportai que deux rois viendraient à Cadarn, mais qu’un homme qui n’était pas roi régnerait, que la morte serait mariée, que le perdu referait surface et qu’une épée pèserait sur le cou d’un enfant.

« Redis-moi ça, Derfel », demanda-t-il en me regardant de travers tout en caressant un chat tigré qui se prélassait sur ses genoux.

Je le répétai solennellement et ajoutai la promesse de Nimue : le Chaudron réapparaîtrait sous peu, son horreur était imminente. Il rit, hocha la tête, puis s’esclaffa à nouveau. Il caressa le chat. « Et tu dis qu’elle avait la tête d’un druide ?

— La tête de Balise, Seigneur. »

Il gratta le chat sous le menton. « La tête de Balise a été brûlée, Derfel, voilà de longues années. Elle a été brûlée et réduite en poudre. Réduite à rien. Je le sais, parce que c’est moi qui l’ai fait. » Il ferma les yeux et s’endormit.

 

*

 

C’est l’été suivant, à la veille de la pleine lune, alors que les arbres qui poussaient au pied de Caer Cadarn étaient chargés de feuillages, que nous devions acclamer Mordred, notre roi, au sommet de l’ancien Caer. Le soleil brillait sur les haies mêlées de bryones, de liserons, de lauriers fleuris et de vignes de Salomon.

L’ancienne forteresse de Caer Cadarn demeurait déserte une bonne partie de l’année mais restait notre colline royale : le lieu des rituels solennels au cœur de la Dumnonie. Et si les remparts étaient bien entretenus, l’intérieur était un triste agglomérat de cabanes délabrées dispersées autour de la grande salle de banquet lugubre qui servait de refuge aux oiseaux, aux chauves-souris et aux souris. Cette salle occupait la partie inférieure du large sommet, tandis que sur la partie la plus haute, à l’ouest, se trouvait un cercle de pierres couvertes de lichen entourant une grosse pierre grise : l’ancienne pierre de la royauté de la Dumnonie. C’est ici que le Grand Dieu Bel avait oint son fils Beli Mawr, mi-dieu, mi-homme, pour en faire le premier de nos rois. Et jusque dans les années de domination romaine, tous nos rois étaient venus ici pour y être acclamés. Mordred était né sur cette colline et y avait déjà été acclamé bébé, même si cette cérémonie n’avait été qu’un signe de son sang royal et ne lui conférait aucun devoir. Il était désormais au seuil de la maturité et, à compter de ce jour, il aurait du roi beaucoup plus que le titre. Cette seconde acclamation libérait Arthur de son serment et transmettait à Mordred tous les pouvoirs d’Uther.

La foule s’attroupa de bonne heure. La salle de banquet avait été balayée et décorée de rameaux verts au milieu des étendards. Des cuves d’hydromel et des pots de bière blonde étaient disposés sur l’herbe, tandis que la fumée s’élevait des grands feux où rôtissaient les bœufs, les cochons et les cerfs du banquet. Des hommes tatoués des tribus d’Isca se mêlaient aux élégants citoyens en toge de Durnovarie et de Corinium, et tous écoutaient les bardes en robe blanche chanter des chansons spécialement composées pour louer le caractère de Mordred et lui prédire un règne glorieux. On ne pouvait jamais se fier aux bardes.

Étant le champion de Mordred, j’étais seul, de tous les seigneurs présents sur la colline, revêtu de mon accoutrement guerrier. Ce n’était plus le matériel miteux et rafistolé que j’avais porté à la périphérie de Londres, car je possédais désormais une nouvelle armure onéreuse à la hauteur de mes fonctions. J’avais une belle cotte de mailles romaine agrémentée d’anneaux d’or au cou, sur les franges et aux manches. Mes bottes, qui m’arrivaient aux genoux, scintillaient de plaques de bronze ; mes gants, qui montaient jusqu’aux coudes, étaient doublés de plaques de fer qui me protégeaient les avant-bras et les doigts ; mon beau casque en argent repoussé avait un rabat pour me couvrir la nuque. Le casque était agrémenté de joues qui me barraient le visage et d’un fleuron d’or auquel était accrochée ma queue de loup bien peignée. Outre mon manteau vert, je portais Hywelbane et un bouclier qui, en l’honneur de ce jour, arborait le dragon rouge de Mordred plutôt que mon étoile blanche.

Culhwch était venu d’Isca. Il m’embrassa : « C’est une farce, Derfel, grogna-t-il.

— Un grand jour de joie, Seigneur Culhwch », fis-je, les traits tirés.

Il ne répondit point, mais promena un regard maussade sur la foule qui attendait. « Des chrétiens, cracha-t-il.

— Ils paraissent nombreux.

— Merlin est ici ?

— Il était fatigué.

— Tu veux dire qu’il avait trop de bon sens pour venir. Alors qui est à l’honneur aujourd’hui ?

— L’évêque Sansum. »

Culhwch cracha. Sa barbe avait grisonné au cours des tout derniers mois et il se déplaçait avec une certaine raideur. Mais c’était toujours un gros ours. « Tu parles encore à Arthur ? voulut-il savoir.

— Quand il le faut, répondis-je de manière évasive.

— Il tient à ton amitié.

— Il a une étrange façon de traiter ses amis, dis-je avec raideur.

— Il a besoin d’amis.

— En ce cas, il a bien de la chance de t’avoir. »

Un coup de corne interrompit notre conversation. Des lanciers se frayaient un passage dans la foule, usant de leurs boucliers et de la hampe de leurs lances pour repousser doucement les badauds. Et dans le couloir ainsi formé par les lanciers, un cortège de seigneurs, de magistrats et de prêtres se dirigea lentement vers le cercle de pierres. Je pris place dans le cortège à côté de Ceinwyn et de mes filles.

Le rassemblement de ce jour-là était en fait un hommage à Arthur plutôt qu’à Mordred, car tous les alliés d’Arthur étaient là. Cuneglas était venu du Powys, amenant une douzaine de seigneurs et son Edling, le prince Perddel, qui était maintenant un beau garçon avec le visage franc et rond de son père. Vieux et raide, Agricola accompagnait le prince Meurig. Les deux hommes portaient la toge. Tewdric, le père de Meurig, vivait encore, mais le vieux roi avait abandonné son trône pour la tonsure d’un prêtre et s’était retiré dans un monastère de la vallée de la Wye, où il amassait patiemment une bibliothèque de textes chrétiens tout en laissant son pédant de fils régner sur le Gwent à sa place. Byrthig, qui avait succédé à son père dans le royaume du Gwynedd, et qui n’avait plus maintenant que deux dents, ne tenait pas en place, comme si les rituels étaient un irritant nécessaire par lequel il fallait bien passer avant de s’attaquer à l’hydromel. Œngus Mac Airem, père d’Iseult et roi de Démétie, était venu avec une délégation de ses redoutables Blackshields, tandis que Lancelot, roi des Belges, était escorté d’une douzaine de géants de sa fameuse Garde saxonne, sans oublier la sinistre paire de jumeaux, Dinas et Lavaine, ainsi qu’Amhar et Loholt.

Arthur embrassa Œngus, qui l’accueillit avec chaleur. Malgré l’atroce mort d’Iseult, il n’y avait apparemment aucune trace de rancune. Arthur avait choisi un manteau brun : sans doute ne voulait-il pas éclipser le héros du jour avec l’un de ses manteaux blancs. Guenièvre avait fière allure dans une robe de bure ourlée d’argent sur laquelle on reconnaissait, en broderie, son emblème du cerf couronné d’une lune. Sagramor, qui avait revêtu une toge noire, était venu avec Malla, sa femme saxonne de nouveau enceinte, et leurs deux fils. Personne ne représentait le Kernow.

Les étendards des rois, des chefs et des seigneurs étaient suspendus aux remparts, où un cercle de lanciers, tous équipés de boucliers au dragon fraîchement peints, montaient la garde. Une corne retentit à nouveau, lançant son appel lugubre sous le soleil matinal : vingt autres lanciers escortèrent Mordred vers le cercle de pierres où, quinze ans plus tôt, nous l’avions acclamé. Cette première cérémonie avait eu lieu en hiver : c’est emmitouflé dans une fourrure qu’on avait porté le bébé vers les pierres sur un bouclier de guerre renversé. Morgane avait supervisé cette première acclamation marquée par le sacrifice d’un captif saxon. Mais cette fois-ci, la cérémonie serait un rite entièrement chrétien. Quoique Nimue puisse croire, les chrétiens avaient gagné, me disais-je d’un air lugubre. Hormis Dinas et Lavaine, il n’y avait ici aucun druide, et ils n’avaient aucun rôle à jouer. Merlin dormait dans le jardin de Lindinis, Nimue était restée sur le Tor, et aucun captif ne serait mis à mort pour découvrir les augures pour le règne du roi acclamé. Lors de la première acclamation de Mordred, nous avions tué un prisonnier saxon, lui plongeant une lance en haut du ventre pour lui assurer une mort lente et atroce, et Morgane avait scruté chacun de ses pas chancelants, chaque giclée de sang, en quête de signes du futur. Ces augures, je m’en souvenais, n’étaient pas bons, bien qu’ils promissent à Mordred un long règne. J’essayai de me rappeler le nom du malheureux Saxon, mais la seule chose dont je pus me souvenir, c’était la terreur sur son visage et le fait que je l’aimais bien. Puis, soudain, son nom me revint. Wlenca ! Pauvre Wlenca, tout frémissant de peur. Morgane avait réclamé sa mort, mais aujourd’hui, avec un crucifix pendillant sous son masque, elle n’était ici qu’en sa qualité d’épouse de Sansum et ne devait prendre aucune part aux rites.

Une sourde acclamation salua l’arrivée de Mordred. Les chrétiens applaudirent, tandis que les païens se contentèrent de se toucher docilement les mains, puis le silence se fit. Le roi était entièrement vêtu de noir : chemise noire, pantalons noirs, manteau noir et bottes noires, dont une aux formes monstrueuses pour enfermer son pied-bot. Un crucifix en or pendait à son cou. Il me sembla voir un sourire affecté sur son affreux visage rond, mais peut-être cette grimace trahissait-elle simplement sa nervosité. Il avait gardé sa maigre barbe qui n’arrangeait guère sa trogne bulbeuse avec ses toupets de cheveux. Il entra seul dans le cercle royal pour se placer à côté de la pierre roulée.

Magnifique  dans  son  accoutrement blanc  et or,  Sansum s’empressa de rejoindre le roi. L’évêque leva les bras et, sans préambule, se mit à prier à haute voix. Toujours forte, sa voix portait, par-delà la cohue qui se pressait derrière les seigneurs, jusqu’aux lanciers impassibles postés sur les plates-formes de combat des remparts : « Seigneur Dieu ! hurla-t-il, répands Ta bénédiction sur Ton fils Mordred, ici présent, sur ce bienheureux roi, cette lumière de Bretagne, ce monarque qui fera entrer Ton royaume de Dumnonie dans son nouvel âge de félicité. » Ce n’est là qu’une paraphrase, je le confesse, car la vérité, c’est que je ne prêtai guère attention à la harangue de Sansum à l’adresse de son Dieu. Il excellait dans ce genre d’exercice, mais il disait toujours la même chose : ses harangues étaient toujours trop longues, toujours riches en louanges du christianisme et toujours pleines de moqueries à l’endroit du paganisme. Plutôt que d’écouter, je préférai observer la foule pour voir qui ouvrait les bras et fermait les yeux. La grande majorité. Toujours prêt à témoigner son respect à une religion, quelle qu’elle soit, Arthur inclinait simplement la tête. Il tenait la main de son fils, Gwydre, tandis que Guenièvre levait les yeux au ciel, un sourire secret illuminant son beau visage. Amhar et Loholt, les fils qu’Ailleann avait donnés à Arthur, priaient avec les chrétiens, tandis que Dinas et Lavaine croisaient les bras sous leurs robes et fixaient Ceinwyn qui, comme le jour où elle avait rompu ses fiançailles, ne portait ni or ni argent. Elle avait toujours la même chevelure si claire, si éclatante, et restait pour moi la plus charmante créature qui eût jamais posé les pieds sur cette terre. Son frère, le roi Cuneglas, se tenait à ses côtés, me gratifiant d’un sourire pincé au cours de l’une des grandes envolées de l’évêque. Quant à Mordred, il priait les bras grands ouverts en nous observant avec un sourire en coin.

La prière terminée, Sansum prit le roi par le bras pour le conduire jusqu’à Arthur qui, en sa qualité de gardien du royaume, allait maintenant présenter le nouveau souverain à son peuple. Arthur lui sourit, comme pour l’encourager, puis lui fit faire le tour du cercle de pierres. Sur son passage, tous ceux qui n’étaient pas rois mirent le genou à terre. Quant à moi, son champion, je le suivis, l’épée tirée. Pour bien montrer que notre nouveau roi descendait de Beli Mawr et pouvait ainsi défier l’ordre naturel de tous les êtres vivants, nous marchions exceptionnellement contre le soleil. Mais, naturellement, Sansum déclara que cette façon de faire sonnait le glas de la superstition païenne. Au cours de ce tour, Culhwch réussit à se cacher pour éviter d’avoir à s’agenouiller.

Lorsqu’ils eurent accompli deux fois le tour complet du cercle, Arthur conduisit Mordred jusqu’à la Pierre royale, lui tenant la main pour l’aider à y grimper. Dian, la plus jeune de mes filles, avait les cheveux parés de bleuets : elle s’avança en trottinant et déposa une miche de pain, symbole de son devoir de nourrir son peuple, devant le pied-bot d’Arthur. En la voyant, les femmes murmurèrent car, comme ses sœurs, Dian avait hérité de la beauté insouciante de sa mère. Elle déposa la miche, puis quêta un signe autour d’elle. Ne sachant trop ce qu’elle était censée faire ensuite, elle leva solennellement les yeux sur le visage de Mordred et éclata aussitôt en sanglots. Les femmes poussèrent un soupir d’aise en la voyant se réfugier dans les bras de sa mère, qui la dorlota en séchant ses larmes. Gwydre, le fils d’Arthur, porta ensuite aux pieds de Mordred un fléau de cuir, symbole de justice. Puis je m’avançai, portant la nouvelle épée royale forgée au Gwent, avec une garde de cuir noire enveloppée de fil d’or, et la remis dans la main droite de Mordred. « Seigneur Roi, dis-je en le regardant droit dans les yeux, voici pour votre devoir de protéger votre peuple. » Son sourire affecté avait disparu. Il répondit à mon regard avec une dignité froide qui me fit espérer qu’Arthur eût raison, que la solennité de ce rituel lui donnerait la force d’être un bon roi.

Puis, l’un après l’autre, nous lui présentâmes nos cadeaux. Je lui donnai un beau casque bordé d’or et orné d’un dragon rouge émaillé. Arthur lui donna une cotte d’écailles, une lance et un coffret d’ivoire plein de pièces d’or. Cuneglas lui offrit des lingots d’or des mines du Powys, Lancelot une croix en or massif et un petit miroir en électrum dans son cadre d’or. Œngus déposa à ses pieds deux grosses fourrures d’ours, tandis que Sagramor ajouta à la pile une tête de taureau saxonne dorée. Sansum présenta au roi un morceau de la croix, annonça-t-il haut et fort, sur laquelle le Christ avait été crucifié. Le petit bout de bois foncé était enfermé dans une flasque de verre romaine scellée à l’or. Culhwch fut le seul à ne rien offrir. De fait, lorsque les cadeaux furent remis et que les seigneurs s’agenouillèrent devant le roi pour lui jurer fidélité, il avait disparu. Je fus le deuxième à prêter serment, succédant à Arthur auprès de la Pierre royale : m’agenouillant face au monceau d’or scintillant, je posai les lèvres sur la pointe de la nouvelle épée de Mordred et jurai de le servir fidèlement jusqu’à la mort. Ce fut un instant solennel, car c’était le serment royal, celui qui prime sur tous les autres.

Il n’y eut qu’une seule innovation au cours de cette acclamation : un rituel qu’Arthur avait imaginé afin de prolonger la paix qu’il avait si soigneusement construite et fait respecter au fil des ans. La nouvelle cérémonie fut en effet un prolongement de sa Confrérie de Bretagne, car il avait persuadé les rois de Bretagne, tout au moins les rois présents, d’échanger un baiser avec Mordred et de faire le serment de ne pas s’entre-tuer. Mordred, Meurig, Cuneglas, Byrthig, Œngus et Lancelot, tous s’embrassèrent, touchant la lame de leurs épées et jurant de préserver la paix. Arthur rayonnait et Œngus Mac Airem, la plus belle brute qui fût jamais, m’adressa un clin d’œil appuyé. Dès la saison des moissons, je le savais, ses lanciers oublieraient ses serments pour recommencer leurs razzias sur les greniers du Powys.

Le serment royal terminé, j’accomplis le dernier acte de l’acclamation. Je commençai par tendre ma main gantée à Mordred pour l’aider à descendre puis, lorsque je l’eus conduit à la pierre la plus au nord du cercle, je pris son épée royale et posai sa lame à plat sur la Pierre royale. Elle était là, scintillante. Une épée sur une pierre : le vrai signe d’un roi. Puis je fis mon devoir de champion en parcourant le cercle et en crachant vers les spectateurs, les mettant au défi d’oser nier à Mordred ap Mordred ap Uther le droit d’être le roi de ce pays. J’adressai au passage un clin d’œil à mes filles, fis en sorte que mon crachat retombât sur les robes étincelantes de Sansum tout en prenant grand soin d’épargner la robe brodée de Guenièvre. « Mordred ap Mordred ap Uther est roi, répétai-je à chaque fois, et si un homme le conteste, qu’il me combatte séance tenante. » Je marchais d’un pas lent, Hywelbane à la main, lançant mon défi à voix haute : « Mordred ap Mordred ap Uther est roi, et si un homme le conteste, qu’il me combatte séance tenante. »

J’avais presque terminé lorsque j’entendis le frottement d’une lame qu’on sort du fourreau. « Je le conteste ! » cria une voix, aussitôt suivie de hoquets de terreur dans la foule. Ceinwyn pâlit et mes filles, déjà terrifiées de me voir avec ma queue de loup dans cet accoutrement peu ordinaire de fer, d’acier et de cuir, enfouirent leur visage dans sa jupe.

Me retournant lentement, je vis que Culhwch avait regagné le cercle et me faisait maintenant face avec sa grande épée de guerre. « Non, lui lançai-je, je t’en prie. »

D’un air menaçant, Culhwch se dirigea vers le centre du cercle et s’empara de l’épée royale à la garde d’or. « Je conteste ce droit à Mordred ap Mordred ap Uther, reprit Culhwch d’un ton solennel avant de lancer la lame sur l’herbe.

— Tue-le, cria Mordred posté à côté d’Arthur. Fais ton devoir, Seigneur Derfel !

— Je conteste qu’il soit apte à régner ! » tonna Culhwch à l’adresse de l’assemblée. Un coup de vent fit voleter les étendards et souleva la chevelure dorée de Ceinwyn.

« Je t’ordonne de le tuer ! » fit Mordred tout excité.

J’avançai dans le cercle pour faire face à Culhwch. Mon devoir était maintenant de le combattre. S’il me tuait, un autre champion du roi serait désigné, et cette stupide histoire continuerait jusqu’à ce que Culhwch, meurtri et sanguinolent, rendît l’âme dans son sang sur la terre de Caer Cadarn ou, plus probablement, jusqu’à ce que se déchaînât sur le sommet une bataille rangée qui se terminerait par le triomphe du parti de Culhwch ou de celui de Mordred. Je retirai mon casque, rejetai mes cheveux en arrière d’un mouvement de tête et accrochai mon casque à la gorge de mon fourreau. Puis, Hywelbane toujours à la main, j’embrassai Culhwch. « Ne fais pas ça, murmurai-je à son oreille. Je ne puis te tuer, mon ami. C’est toi qui vas devoir me tuer.

— C’est un sale petit crapaud, un vermisseau, pas un roi.

— Je t’en prie. Je ne peux te tuer. Tu le sais. »

Il me serra sur son cœur. « Fais la paix avec Arthur, mon ami », me dit-il en chuchotant. Puis il recula d’un pas et remit son épée au fourreau. Il ramassa l’épée de Mordred sur l’herbe, lança au roi un regard acide, puis reposa la lame sur la pierre. « Je renonce à me battre », lança-t-il alors assez fort pour que tout le monde puisse l’entendre. Sur ce, il se dirigea vers Cuneglas et s’agenouilla à ses pieds : « Voulez-vous de mon serment, Seigneur Roi ? »

C’était un moment embarrassant, car si le roi du Powys acceptait le serment de Culhwch, le Powys inaugurerait ce nouveau règne dumnonien en accueillant un ennemi de Mordred. Mais Cuneglas n’eut pas l’ombre d’une hésitation. Il tendit la garde de son épée à Culhwch. « Avec joie, Seigneur Culhwch, avec joie ! »

Culhwch posa les lèvres sur l’épée du roi, puis se releva et se dirigea vers la porte ouest. Ses lanciers le suivirent. Avec son départ, le pouvoir de Mordred était enfin incontesté. Le silence régnait. Puis Sansum donna le signal des hourras et les chrétiens acclamèrent leur nouveau souverain. Les hommes s’attroupèrent autour du roi pour le féliciter. Je remarquai qu’Arthur était resté à l’écart. Il me regarda en souriant, mais je lui tournai le dos. Je rangeai Hywelbane, puis m’accroupis auprès de mes fillettes encore apeurées pour leur expliquer qu’il n’y avait rien à craindre. Je fourrai mon casque dans les mains de Morwenna et lui montrai comment les joues pivotaient sur leurs charnières. « Surtout ne le casse pas !

— Pauvre loup, fit Seren, passant la main sur la queue.

— Il a tué des tas d’agneaux.

— C’est pour ça que tu l’as tué ?

— Bien sûr.

— Seigneur Derfel ! » appela soudain Mordred. Je me redressai. Me retournant, je vis que le roi s’était arraché à ses admirateurs et traversait le cercle royal en boitillant pour se diriger vers moi.

J’allai à sa rencontre et inclinai la tête. « Seigneur Roi. »

Les chrétiens s’attroupèrent derrière Mordred. C’étaient eux les maîtres, désormais, et leur victoire se lisait sur leurs visages.

« Seigneur Derfel, commença Mordred, tu as fait le serment de m’obéir.

— Oui, Seigneur Roi.

— Or Culhwch vit encore, dit-il d’une voix perplexe. Il vit encore, n’est-ce pas ?

— Il vit, Seigneur Roi.

— Un serment rompu, Seigneur Derfel, mérite châtiment. N’est-ce pas ce que tu m’as toujours dit ? demanda-t-il avec un sourire.

— Oui, Seigneur Roi.

— Mais tes filles sont mignonnes, reprit-il en se grattant la barbe, et je serais désolé de te perdre pour la Dumnonie. Je te pardonne.

— Merci, Seigneur Roi, répondis-je, m’efforçant de résister à la tentation de le frapper.

— Reste qu’un serment brisé mérite châtiment, répéta-t-il tout excité.

— Oui, Seigneur Roi. En effet. »

Il s’arrêta une seconde, puis me frappa en plein visage avec son fléau de justice. Il rit et ma réaction de surprise lui procura un tel plaisir qu’il me frappa une seconde fois. « Voilà pour le châtiment, Seigneur Derfel », fit-il en tournant les talons sous les rires et les applaudissements de ses partisans.

Le banquet, les combats de lutte, les tournois à l’épée, les jongleries, la danse de l’ours et les concours de bardes : tout cela se fit sans nous. Toute la famille rentra aussitôt à Lindinis, longeant le ruisseau où poussaient les saules au milieu des salicaires communes. Nous rentrions chez nous.

 

*

 

Cuneglas nous suivit dans l’heure. Il comptait passer une semaine chez nous, puis regagner le Powys : « Rentrez donc avec moi.

— Mon serment me lie à Mordred, Seigneur Roi.

— Oh, Derfel, Derfel ! » Il passa le bras autour de mon cou pour m’entraîner dans la cour extérieure. « Mon cher Derfel, tu es aussi terrible qu’Arthur ! Tu crois que Mordred se préoccupe de ton serment.

— J’espère qu’il ne souhaite pas me compter au nombre de ses ennemis.

— Qui sait ce qu’il veut ? demanda Cuneglas. Des filles, probablement, des chevaux rapides, des cerfs à chasser et de l’hydromel robuste. Viens, Derfel. Culhwch sera là.

— Il va me manquer, Seigneur. » J’avais espéré que Culhwch attendrait à Lindinis notre retour de Caer Cadarn. Mais, manifestement, il n’avait pas osé perdre un instant et filait déjà dans le nord pour échapper aux lanciers dépêchés à ses trousses avant qu’il eût franchi la frontière.

Cuneglas renonça à ses efforts pour me convaincre de le suivre dans le nord. « Que faisait là cette brute d’Œngus ? me demanda-t-il d’un air maussade. Et dire qu’il a fait lui aussi cette promesse de respecter la paix !

— Il sait, Seigneur Roi, que s’il perd l’amitié d’Arthur, vos lances envahiront son pays.

— Il a raison, répliqua Cuneglas d’un air sévère. Peut-être confierai-je cette mission à Culhwch. Arthur a-t-il le moindre pouvoir maintenant ?

— Cela dépend de Mordred.

— Supposons que Mordred ne soit pas un parfait crétin. J’imagine mal la Dumnonie sans Arthur. »

Il se retourna : un cri au portail annonçait de nouveaux visiteurs. Je m’attendais à moitié à voir surgir des boucliers au dragon et un détachement d’hommes de Mordred lancés aux basques de Culhwch, et je découvris Arthur et Œngus Mac Airem, accompagnés d’une vingtaine de lanciers. Arthur hésita au seuil du portail. « Suis-je le bienvenu ? me demanda-t-il.

— Bien sûr, Seigneur », répondis-je sans trop de chaleur.

Mes filles l’épiaient depuis la fenêtre. Un instant plus tard, elles couraient vers lui avec des cris de joie. Cuneglas les rejoignit, ignorant ostensiblement Œngus Mac Airem, qui se dirigea vers moi. Je m’inclinai, mais Œngus me fit me relever et me serra dans ses bras. Son col de fourrure puait la sueur et la vieille graisse. Il me sourit : « Arthur me dit que voilà dix ans que tu n’as conduit une bataille digne de ce nom.

— Ça doit être ça, Seigneur.

— Tu vas perdre la main, Derfel. Une seconde d’inattention et un gamin t’étripera pour nourrir sa meute. Comment va ?

— Plus vieux qu’autrefois, Seigneur. Mais ça va. Et vous ?

— Toujours en vie, dit-il en jetant un coup d’œil en direction de Cuneglas. J’imagine que le roi du Powys n’a aucune envie de me saluer ?

— Il trouve, Seigneur Roi, que vos lanciers sont trop affairés à sa frontière.

— Faut bien les tenir occupés, Derfel, répondit-il avec un gros rire. Tu connais ça. Les lanciers oisifs sont une plaie. Qui plus est, j’ai beaucoup trop de salauds sur les bras par les temps qui courent. L’Irlande se fait chrétienne ! lança-t-il en crachant. Un Breton du nom de Padraig en a fait des poules mouillées. Vous n’avez jamais osé nous conquérir avec vos lances, alors vous avez envoyé cette merde de phoque pour nous affaiblir, et tout Irlandais qui a un tant soit peu de cran se réfugie dans les royaumes irlandais de Bretagne pour échapper à ses chrétiens. Il prêche avec une feuille de trèfle. Tu imagines un peu ? Conquérir l’Irlande avec une feuille de trèfle ? Pas étonnant que tous les guerriers dignes de ce nom se tournent vers moi, mais que puis-je en faire ?

— Envoyez-les tuer Padraig ?

— Il est déjà mort, Derfel, mais ses partisans pullulent. »

Œngus m’avait attiré dans un coin de la cour. Il s’arrêta et me regarda droit dans les yeux. » J’entends que tu as essayé de protéger ma fille.

— Oui, Seigneur. » Je vis que Ceinwyn était sortie du palais et embrassait Arthur. Ils parlaient en se tenant la main. Ceinwyn me jeta un coup d’œil lourd de reproches. Je me retournai vers Œngus. « J’ai tiré l’épée pour elle, Seigneur Roi.

— Brave Derfel, fit-il négligemment. Brave Derfel, mais ça n’a pas d’importance. J’ai plusieurs filles. Je ne suis même pas sûr de me souvenir d’Iseult. Cette petite chose décharnée, c’est ça ?

— Une belle fille, Seigneur Roi. »

Il rit.

« Tout ce qui est jeune avec des tétons est beau quand on est vieux. J’ai une beauté de ce genre dans ma couvée. Argante, et elle aura brisé quelques cœurs avant que sa vie ne s’achève. Ton nouveau roi va se chercher une épouse, n’est-ce pas ?

— J’imagine.

— Argante lui conviendrait très bien », fit Œngus.

Ce n’était pas pour plaire à Mordred qu’il suggérait de faire de sa jolie fille la reine de Dumnonie. Il voulait simplement s’assurer que la Dumnonie continuerait à protéger la Démétie des hommes du Powys. « Peut-être l’amènerai-je à l’occasion », conclut-il. Il laissa tomber le sujet et m’enfonça son poing serré dans la poitrine. « Écoute, mon ami, reprit-il avec force, ça ne vaut pas la peine de se brouiller avec Arthur à cause d’Iseult.

— Est-ce pour cela qu’il vous a conduit ici, Seigneur Roi ? demandai-je avec méfiance.

— Naturellement, imbécile ! répondit joyeusement Œngus. Et parce que je ne supporte pas tous ces chrétiens sur le Caer. Fais la paix, Derfel. La Bretagne n’est pas si grande que les braves puissent se mettre à cracher sur les autres. On me dit que Merlin habite ici ?

— Vous le trouverez par là-bas, dis-je, montrant du doigt l’arche qui menait au jardin où fleurissaient les roses de Ceinwyn. Enfin, ce qu’il en reste.

— Je vais le ramener à la vie, ce salaud. Peut-être peut-il me dire ce qu’il y a de si particulier dans une feuille de trèfle. Et j’ai besoin d’un charme pour m’aider à faire de nouvelles filles. » Il rit et s’éloigna. « La vieillesse, Derfel, la vieillesse. »

Arthur confia mes trois filles à la garde de Ceinwyn et de leur oncle Cuneglas, puis se dirigea vers moi. J’hésitai, puis je lui fis signe de me suivre dehors, et l’attendis sur la prairie, les yeux fixés sur les étendards qui ornaient les remparts de Caer Cadarn, par-delà les arbres.

Il s’arrêta derrière moi. « C’est à la première acclamation de Mordred, fit-il à voix basse, que Tristan et toi avez fait connaissance. Tu te souviens ? »

Je ne me retournai pas.

« Oui, Seigneur.

— Je ne suis plus ton seigneur, Derfel. Nous avons honoré notre serment envers Uther. C’est fini. Je ne suis plus ton seigneur, mais je serais ton ami. »

Il marqua un temps d’hésitation et reprit : « Je regrette ce qui s’est passé. »

Je ne bougeai toujours pas. Non par orgueil, mais parce que j’avais les larmes aux yeux.

« Moi aussi.

— Vas-tu me pardonner ? demanda-t-il humblement. Serons-nous amis ? »

Les yeux fixés sur le Caer, je pensais à tout ce que j’avais fait qui nécessitait un pardon. Je pensais aux corps sur la lande. Je n’étais qu’un jeune lancier alors, mais la jeunesse n’excuse pas le carnage. Mais je songeais aussi qu’il ne m’appartenait pas de pardonner à Arthur ce qu’il avait fait. C’était à lui de le faire. « Nous serons amis, dis-je, jusqu’à la mort. » Et je me retournai.

Nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre. Nous avions honoré notre serment envers Uther. Et Mordred était roi.

L'ennemi de Dieu
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